Chapitre Quatre : un amour kafkaïen !

Où les jeux de mots de Cathy tentent d’effectuer une traversée des apparences.

Le narrateur signale que cette entreprise fut motivée par Melle Lilie, avec laquelle Cathy souhaitait ardemment établir un lien, mais elle fut aussi soumise à très rude épreuve.

Melle Lilie était célibataire et vivait seule, s’étant séparée il y avait déjà quelques temps de cela d’un «type pas intéressant». C’est ainsi qu’elle présenta d’un ton péremptoire son état de célibataire et ajouta, à l’adresse de Cathy :
«- Vous aussi, vous êtes seule». Cet échange eut lieu à l’apéritif d’un dîner auquel Melle Lilie avait convié Cathy, pour la récompenser de son travail de DEA qu’elle jugeait brillant, ainsi elle avoua à Cathy qu’elle admirait son travail qui, selon elle, avait été nettement sous–noté par son collègue faisant également partie du jury et dont la spécialité était la géopolitique (allez comprendre ce qu’il faisait à noter des exposés de littérature). Hélas, dans les facs françaises ces querelles de chapelles et autres disputes d’intérêt sont encore monnaie courante et transforment, sous couvert de science, certaines soutenances en «folle partie de thé» comme dans «Alice au pays des merveilles». Gare à l’étudiant qui se retrouve ainsi parachuté au centre d’un conflit d’intérêt ! Or c’est précisément ce qui arriva à Cathy.

En sous-notant un exposé littéraire, le prof de géopolitique comptait inciter les étudiants à le choisir, lui, comme directeur de mémoire et pénalisait du même coup sa collègue «rivale», privée de ses étudiants. La géopolitique contre la littérature germanophone contemporaine des pays d’Europe centrale, tel avait été le vrai sujet de la soutenance, celui que le géopolitologue avait imposé à Cathy et à Melle Lilie. «La littérature, ça va avec la poussière et autres vieux débris : à La Sorbonne», se plaisait-il à répéter urbi et orbi. Ayant troqué son globe terrestre contre un plumeau à poussière, le géo politologue Peter Kronmann briguait un poste d’agent d’entretien en université.

De fait, la soutenance de DEA de Cathy se déroula sans autres témoins que les principaux «intéressés», à savoir Melle Lilie, Cathy et M. Kronmann qui d’emblée déclara à l’étudiante : «- Je n’ai pas lu le livre sur lequel porte votre mémoire, c’est sans doute très intéressant mais je ne le lirai jamais». Après quoi, regardant tour à tour Cathy et Melle Lilie, il dit d’un ton suggestif que ce mémoire avait dû être jouissif. Cathy l’avait vu présenter ses maîtresses lors de ses séminaires de géopolitique, aussi creux que pompeux : «- Voici Béatrice. Elle n’appréciait pas la fac où nous étions avant, aussi m’a-t-elle suivi lorsque j’ai décidé de venir enseigner ici». Et l’intéressée de devenir pivoine en se mettant à trembler comme une feuille sous le regard des autres participants du séminaire. Ses séminaires se résumaient à : «- J’ai déjeuné avec untel et lui ai parlé de votre sujet. Allez le voir de ma part», ou encore : « – Ah oui, untel, j’ai dîné avec lui avant-hier. Il m’a dit qu’il serait preneur de ce sujet». «Vous avez fait un mémoire sur ce sujet ? Dans mes bras, cher ami !». Armé d’un plumeau pour tromper son monde, M. Kronmann recrutait des ghost writers payés en monnaie de singe savant.

Melle Lilie et Cathy l’avaient surnommé «la serpillière sociale», ou plus exactement Cathy avait trouvé ce terme tandis que Melle Lilie disait : «- quel abruti, celui-là !».

Au cours de la «soutenance» du mémoire de Cathy, l’enseignant de géopolitique déclara qu’ici c’était une fac et non pas une maison d’édition, et que c’était grave d’avoir confondu Gallimard avec la fac, «oui, c’est vraiment grave», renchérit-il en regardant Melle Lilie d’un air pénétré. Traduction : «c’est grave que vous autorisiez cette étudiante à soutenir». Puis à Cathy, sur un ton mielleux : «Vous êtes vraiment très douée, mais là vous avez écrit un livre. Or on vous demandait d’écrire sur un livre, ce qui n’a d’ailleurs aucun intérêt, nous sommes bien d’accord». Puis, hurlant tout à coup avec une violence inouïe : «Et Paul Veynes, ‘Les Grecs ont-ils cru a leurs mythes ?‘ Ça vous arrive de dire que c’est lui que vous citez, là, là et là ?» «- Les citations sont référencées à la fin du mémoire», dit Cathy dans un souffle. C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’elle arrivait à placer, tellement elle avait la bouche sèche. Melle Lilie restait étrangement silencieuse, pourtant elle possédait le même titre de docteur d’Etat que le géo politologue et n’était pas du genre à se laisser faire ni à s’en laisser compter. Cathy se leva dignement, son mémoire sous le bras, disant très calmement qu’elle le retirait de la soutenance et partait de ce pas le proposer à une maison d’édition. Cela fit rire le géo politologue qui répliqua : «- C’est bien, vous êtes courageuse, mais ne jouez pas les Jeanne d’Arc. Lilie… (il appela Melle Altou par son prénom, sur un ton particulièrement tendre, on aurait dit un amoureux qui en redemandait)… Lilie veut que vous le souteniez, ce mémoire, alors nous allons délibérer». Il dit cela comme s’il accordait la grâce présidentielle à un condamné à mort. « Veuillez sortir, nous vous rappellerons dès que ce sera fini». Trois minutes plus tard, Cathy était invitée à entrer à nouveau dans la salle. «- Nous avons délibéré» (Melle Lilie ne soufflait toujours mot). Cathy se permit un rire ironique, discret certes, mais un rire tout de même, auquel le prof fit écho. «Lilie voulait vous donner 17, si nous faisons la moyenne avec la note que je vous donne, cela fait 11 sur 20 pour votre mémoire. Allez, l’incident est clos», fit-il sur un ton débonnaire. «- Mais c’est grave, de telles choses, c’est TRES grave» (à nouveau ce ton pénétré en se levant, signifiant la fin de la soutenance). Cathy sortit sans dire un mot à Melle Lilie qui lui tendit une main (qu’elle ignora) et son «- Au revoir, donnez-moi de vos nouvelles» resta suspendu dans l’air vicié du couloir.

Cet épisode plus que malencontreux (il mettait par terre 2 ans et demi de travail acharné de la part de Cathy : comment continuer sa thèse lorsque l’on n’a obtenu que 11 sur 20 au DEA qui constitue l’introduction de la thèse ?) – cet épisode plus que malencontreux, donc, ne fut pas pour arranger les choses entre Cathy et Melle Lilie. Celle-ci devait se sentir coupable de n’avoir pas pris davantage la défense de son étudiante – après tout, ce travail avait été effectué sous sa responsabilité ; Cathy lui en voulait pour cela. Si elle ne reconnaissait pas devant ses pairs la valeur des travaux de son étudiante, Cathy se sentait privée de son principal atout de séduction : sa précieuse écriture, qui n’avait plus qu’à tomber à la trappe de la fiction. Melle Lilie avait beau lui dire qu’elle était «atterrée d’une telle injustice» (c’étaient là ses propres mots), elle n’avait rien fait pour défendre Cathy. «- Parce qu’elle a honte d’être amoureuse de toi, une étudiante», lui soufflait un mauvais génie. Un ami confident de Cathy, mis au courant des événements, hocha la tête : «Elle dit qu’elle t’aime ? Tu m’excuses, mais là je comprends pas». Après la soutenance, Cathy alla pleurer une bonne heure toutes les larmes de son corps sur le campus, le plus loin possible du bâtiment où s’était déroulé l’examen. Quelqu’un vint l’aborder et lui demanda si elle souhaitait consulter dans un centre accueillant les étudiants séropositifs. Elle ne réussit qu’à faire non de la tête. L’autre s’en alla.

Mme Lilie essaya bien de rattraper le coup : elle perdit du poids pour devenir plus séduisante, s’habilla de manière un peu plus sexy (couleurs plus vives, collier de perles relégué au tiroir), lorsqu’elle croisait son étudiante, elle s’enfermait précipitamment dans son bureau avec elle sous prétexte de lui donner des photocopies à faire et de l’aider à préparer un exposé, s’asseyait lovée contre Cathy et la couvait du regard, elle essaya même (ô tentative désespérée) de fugitives caresses sur la main de Cathy en plein cours, devant une centaine d’étudiants réunis en amphi pour les cours de préparation à l’agrég. Cathy dégagea aussitôt sa main et lui jeta un regard noir. Elle commença ensuite son exposé sur Rilke, s’arrêta au bout d’une phrase et dit piteusement : «Puis-je avoir un verre d’eau ?» Une étudiante lui passa une petite bouteille ; Melle Lilie, immobile, avait le regard colère. L’exposé dura 2 heures et fut brillant, les étudiants applaudirent et demandèrent à Cathy une copie de son travail.

«- C’est bien mieux que les cours de Melle Alt…», s’exclama une éudiante, qui s’arrêta pourtant net dans son élan, car Melle Lilie arrivait. Elle avait entendu. Echange de regard entre Cathy et elle. Compétition, compétition… Le lendemain, Cathy remit un billet un peu chiffonné à Melle Lilie : «Je n’ai plus rien à vous dire» et partit à La Sorbonne pour suivre les cours de préparation à l’agrég. Là, elle récolta un 18 sur 20 à un exposé de poésie et eut également 18 sur 20 à la dissertation en allemand, le jour de l’agrég (l’épreuve durait 7 heures). Elle n’avait pas lu le livre sur lequel portait le sujet (un roman de Max Frisch, auteur Suisse : à l’exemple de ce roman, dire si la fiction permet au personnage principal de se fuir ou de se trouver), mais avait suivi les cours d’un professeur suisse (idéal pour traiter d’un auteur suisse, il n’y a rien de plus férocement anti-helvète qu’un Suisse). Ce personnage de La Sorbonne était d’ailleurs plein de contradictions : très normatif dans ses cours, débitant tout discours sur le mode de la dissertation d’agrég, mais ajoutant une touche d’humour sur un tel ton pince sans rire que son discours semblait littéralement (ou plutôt littérairement) explosé par quelque puissante charge subversive. Il avait dit être né d’un père juif Suisse et d’une mère corse. Quant à la dissertation française sur Rilke, sur un sujet qu’elle possédait à fond : «Y-a-t-il naufrage ou rédemption dans ‘Les Carnets de Malte Laurids Brigge’ de Rilke», Cathy n’eut que 4 sur 20. La rédemption de Cathy restait à faire…

Après l’épisode du DEA, Cathy avait erré tout un mois dans Paris, sans but et surtout sans chercher à revoir Melle Lilie. Cela ne lui venait pas même à l’idée. Pas plus qu’elle ne songeait à porter plainte devant une instance juridique universitaire afin de faire connaître cette flagrante injustice : cela causerait sans doute du tort à Melle Lilie et elle ne le voulait à aucun prix. Melle Lilie lui téléphona plusieurs fois (elle avait un ton emprunté), elles n’échangèrent que des platitudes. En guise de discussion franche, elle dit à Cathy : «- On reste amies, de toute façon», l’intéressée s’empressa d’approuver (une amitié intransitive : amie de qui, amie de quoi ?). Cathy fit elle aussi une tentative désespérée de réconciliation : elle écrivit à Melle Lilie :

«- Vous écrivez lorsque vous avez trouvé ; j’écris quand et parce que je cherche. J’écris en musique, alors que vous éteignez la musique pour écrire. Il fallait bien que l’une tourne le dos à l’autre pour lui servir de miroir. Si nous en avons assez de nous refléter, nous n’avons qu’à nous faire face».

Le pouvoir d’évocation des mots sur Cathy pouvait oeuvrer à son enfermement comme à sa délivrance, restait à savoir comment réagirait Melle Lilie : en voulant se délivrer, chacune des deux ne risquait-elle pas d’enfermer l’autre ? «Deux êtres pouvant se débarrasser mutuellement certes pas de leur miroir, mais au moins de leur carcan», écrivit Cathy à Melle Lilie dans cette même lettre. Pas de réponse. Cathy sut par un ami étudiant que Melle Lilie avait pris beaucoup de poids ces derniers temps. Elle fumait beaucoup et était victime de brusques extinctions de voix lorsque Cathy venait la chercher à la fac à la fin de ses cours. «- Je suis aphone. Cela doit être gênant pour vous», coassa un jour Melle Lilie à Cathy alors qu’elles se trouvaient dans l’ascenseur, un endroit qui la faisait visiblement fantasmer : elle ne pouvait s’empêcher d’entretenir Cathy de pannes d’ascenseur en se collant à elle, avec cet air gourmand des gamins qui mijotent de chiper le pot de confiture en haut du placard pour le dévorer à grands coups de doigts gourmands et sans que maman l’apprenne. La mère de Melle Lilie était d’ailleurs une Italienne (Sicilienne) pur sucre. N’a jamais compris pourquoi sa fille ne se mariait pas (pour étudier ??!!) Par un effet inverse, Cathy avait perdu pas mal de poids et s’anémiait. Elle ne se nourrissait plus que de bouts de chocolat et de quelques biscuits à l’occasion, ignorant la viande, le poisson et les légumes. «- Vous mangez normalement ?», s’était inquiétée Melle Lilie un jour qu’elles déjeunaient ensemble et que Cathy ne touchait pas à ses frites, alors que l’enseignante en était à son deuxième supplément de profiteroles au chocolat et au moins à sa 25ème cigarette. «- Il faudrait vous trouver un travail très rapidement, sinon vous allez avoir des difficultés matérielles», lui avait fait remarquer Melle Lilie lors de leur dîner amical d’après la soutenance (une quinzaine de jours après, en fait). En sortant de ce premier dîner, Cathy avait maladroitement entouré de son bras les épaules de Melle Lilie, celle-ci s’était dégagée tout aussi maladroitement. En la reconduisant à son train, Cathy lui avait dit, avec un grand mouvement de tête englobant Melle Lilie de la racine des cheveux aux chaussures : «- Je vous remercie de vous», à quoi l’enseignante avait répondu par un grand «oui» de la tête et était partie prendre son train.

Le corps de Melle Lilie était alors apparu à Cathy comme un courant scintillant de toute son absence de rivage. Puis l’étudiante apprit à construire de son corps des routes et des parapets de travail et de plaisir. Quant aux ponts, Il restait encore du travail.

Cathy, invitée à prendre le thé chez Mme Teest, son prof d’allemand du lycée qui avait préparé pour elle un superbe assortiment de pâtisseries viennoises, parla de ses mésaventures avec Melle Lilie en ces termes : “On se situe toutes les deux entre l’existence et le drame. On n’appartient ni à l’un, ni à l’autre, j’ai vraiment l’impression d’avoir le cul entre deux chaises. Et puis, Melle Lilie est trop rigide et moi, je suis trop souple pour elle. On ne pourra donc jamais vivre une histoire de couple.»

«- Tu parles d’un drame !», dit Mme Teest en partant d’un rire nietzschéen (un de ses personnages favoris, avec Paul Valéry). Pour elle, cette plaisanterie de Cathy était à prendre au nième degré. Puis elle constata : "- Votre écriture est votre emblème". Elle rit également à l’annonce que Cathy lui fit d’une de ses associations d’idées, née à l’occasion de son mémoire de DEA sur le thème du mythe tombé à la trappe de l’histoire. La bataille du cheval de Troie montre déjà une victoire historique, celle des Grecs, reléguant le peuple perdant, celui de Cassandre, les habitants de l’Asie Mineure en l’occurrence, au mythique. Cathy avait tiré de son travail la conclusion - déjà insolite - que l’on pouvait trouver un au-delà des cinq sens à même notre corps, comme si le théâtre de nos désirs était indépendant de la mise en scène que l’on s’en faisait. Elle pressentait qu’entre Melle Lilie et elle pouvait se jouer quelque histoire passionnelle comme il s’en joue entre mythe et histoire, entre démythification et mythe, entre “les quatre vérités” et les réalités du drame et des personnages. Restait, bien sûr, à se demander comment Melle Lilie se représentait la chose. Cathy pensait qu’elle ne se la représentait pas du tout.

Mme Teest se disait surtout que Melle Lilie devait se sentir très mal à l’aise et que Cathy avait pété les plombs.

Le narrateur n’est pas ici pour sauver, récupérer, tel un chiffonnier du manque, les actes manquants-manqués de Cathy. Pas plus qu’il n’écrit pour transformer ces derniers en oeuvre d’art. Il est otage, dividende de ces opérations aux chiffres fictifs et subit les conséquences des erreurs de Cathy. Il est un chiffre parmi d’autres mis en retenue au cours des calculs. «- Si fonder une famille, c’est prendre le malheur en otage, alors je voudrais bien savoir ce que c’est d’autre que d’écrire une fiction avec cet âne savant de Cathy !», maugréait-il. Bien sûr, il souhaite raconter une histoire qui tourne rond, plaise au public et sait qu’il n’y a pour cela qu’une solution : raconter à sa guise et expédier Cathy à sa laborieuse préparation de l’agrég à La Sorbonne. Le narrateur se moque bien de Cathy et de sa passion qui la pousse à représenter à Melle Lilie… à représenter – un étrange système instable oscillant calamiteusement entre les Moires et autres trous de mémoires. Lui, il aurait raconté l’histoire en trois pages, et basta. Pas de quoi planter un ordinateur muni du Pack Office Windows 2003. Tandis que là…

Cathy pensait à un monument de chant lorsqu’elle réfléchissait à sa relation à Melle Lilie. Difficile de se représenter cela, un monument de chant. Louis II de Bavière, amoureux de sa cousine Sissi, aurait peut-être su. Cathy repensait à son dernier conflit avec Melle Lilie : tant qu’elle ne trouvait pas son rôle dans l’histoire et tant qu’elle ne pouvait pas le jouer, elle apparaissait indifférente, lointaine. Elle écoutait les reproches de Melle Lilie d’un air indifférent, lointain - c’est-à-dire que ces reproches lui semblaient venir de très loin.
“Avez-vous vraiment quelque chose à dire ?” Un reproche que lui faisait Melle Lilie. Seule la perspective de trouver, de jouer un rôle la ramenait à sa passion, la poussait à y travailler.

Le narrateur désespère de Cathy repartie à écrire sur ses hésitations entre rayon de lumière et chemin : «A vôtre âge on est censée draguer les garçons - ou les filles, apparemment, en ce qui vous concerne. Mais les femmes d’âge mûr... Alors, on a besoin d’une maman ?»
Cathy répondit d’un ton rimbaldien : «- Je draguerai l’herbe des rigoles».

Chez Cathy, les chiffres de la communication ne faisaient jamais un compte rond ; elle s’empêtrait dans les décimales, c’est-à-dire qu’elle encombrait de sa personne décimales et dividendes. Ceci avait le don d’exaspérer le narrateur, chiffre ponctuel même dans ses retranchements, alors qu’il fallait toujours y pousser Cathy pour faire avancer les choses. Entendant “pièce de théâtre”, Cathy réagissait à “théâtre en pièces”. Dans ses urgences, elle était tombée sur Melle Lilie qui l’avait reçue dans les dispositions de quelqu’un sur qui la vie choit comme un lourd colis. En plus du tour de reins occasionné, il faut acheminer le paquet… En somme, la tranche de vie qui se jouait là déjouait leurs opinions, leurs petits quant-à-soi. Tout le contraire de Cathy qui, tandis qu’elle pensait, avait toujours peur de faire des fausses notes.

Entre deux réalités, celle vécue par Melle Lilie et celle vécue par Cathy, la première ayant dit à la seconde : «- Nous ne vivons pas dans le même monde», introduire le regard de la fiction en remplacement de celui d’une Gorgone. Dans le bain inerte qui sépare ces deux là mijotent en effet bien des Gorgones en mottes éparses, mauvaises graisses de la mémoire.

Cathy envisageait la lecture comme “un subtil mélange entre sommeil et labyrinthe” (selon ses dires), après quoi elle comptait, pour se récupérer, sur son écriture (“Je pose” ; “Je retiens”) un peu comme on compte sur ses doigts. Quand on tient ses mémoires au bout des doigts, elles s’échappent facilement. Elle jouait à des courses folles du sens sur ses phrases transformées en patinoire. Elle écrivait ainsi des frissons avant leur lettre, mais en même temps Melle Lilie se sentait glacée à la vue de ces eaux si prises dans l’inconscient qu’elles devenaient glissantes. Elle ne pouvait ni s’y baigner, ni y marcher. Melle Lilie venant à Cathy lui demandait qu’elle prenne son corps au mot. Et Pas-done de se lancer dans la recherche passionnée d’un alliage de mots au partage (ô le noyau de l’image) du plomb et de la lumière.

Pendant longtemps, Cathy hésita de tout son corps, fascinée par ces différences dont, tel l’avare, elle comptait les cristaux.
“-Vous cristallisez quelque chose sur moi”, lui avait dit Mme Lilie. Elle enfermait ces cristaux dans le coffre de ses confusions. Sa peau s’y coupait, ses yeux s’y fascinaient. Puis (après bien des puits, oui), elle vit plus loin que l’arrête de son coffre - mais peut-être bien qu’elle ne vit pas plus loin que le bout de ses doigts - et se dit que ses inextricables histoires d’amour étaient l’avers du décor de l’histoire de ses conflits entre artistissime et artiste-artisan.

Melle Lilie, qui habitait Orléans, envoya à Cathy une carte postale sur laquelle figurait Jeanne d’Arc.

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