Epilogue : Une Antigone qui n'a pas le complexe d'Oedipe !

La quarantaine mûre et séduisante, le professeur de Conservatoire fait chanter des jeunes femmes dont il connaît le talon d’Achille : le complexe d’Œdipe. Dès qu’il repère de ces jeunes femmes aux jolis petits pieds cambrés sur leurs talons, le séduisant quadra bande son arc et de ses cordes bien tendues – nous disons bien ses, car il a plusieurs cordes à son arc, un peu comme un marin qui aurait une femme dans chaque port- il décoche sa flèche de Cupidon : « Si mi la ré si ». Fait chanter : « - Venez, entrez-donc dans la ronde, jeunes et belles élèves… »

Un beau jour, une Antigone débarque. Elle ne se prénomme pas forcément Antigone. Elle pourrait tout aussi bien être Violaine, ou encore… Mais va pour Violaine. Notre professeur appréciera : il a lu Claudel. Et comme c’est un littéraire du chant plus qu’un technicien (ces derniers le rendent nerveux), notre professeur d’interprétation entend prendre les belles jeunes femmes qui ont du tempérament à la lettre.

Qui est Antigone ? L’Elue qui dit non, là où toutes les autres Elues ont dit oui ? Pas précisément. Antigone connaît très bien les hommes d’âge mûr en crise. Son père est aussi son frère, puisqu’Oedipe épousa sans le savoir sa propre mère après avoir accidentellement tué son père.

Notre Antigone suivra son père-frère comme une ombre lorsque celui-ci, après avoir découvert qui il était réellement et l’étendue de ce qu’il avait fait, se crèvera les yeux. Elle est l’ombre lumineuse qui plane au-dessus de la vie d’Œdipe. Lumineuse, parce qu’elle l’aide, son Œdipe : elle le conduit partout où il va. Elle est son destin qu’il suit aveuglément. Pas le genre de fille à être complexée par un père qu’elle aime comme un frère. Les hommes-enfants, ça la connaît. Et Dieu sait si elle les a aimés, ses frères, Antigone. Rappelez-vous ce qui se passa lorsque son oncle Créon refusa l’enterrement religieux, soit-disant afin d’éviter une crise politique. Elle alla l’enterrer elle-même, son frère mort, au sacrifice de sa vie. De ces beaux petits bouts de femmes qui vous forcent à regarder en face les petites ruses du destin dont vous usez et abusez. Qui vous obligent à en faire votre deuil. Et si vous ne voulez pas le faire, ce travail de deuil, elle le fera pour vous, Antigone. Une jusqu’auboutiste.

Mais quittons cette sombre affaire de mœurs antiques et revenons à notre professeur de chant et à sa Violaine. Ce prénom n’est pas symbolique, au sens où il n’aurait qu’une signification (symbiose), il est diabolique, c’est à dire à double sens : il suggère aussi bien l’instrument de musique (la viole) que le viol. Notre subtil professeur de chant-qui-prend-les-femmes-à-la-lettre a décelé le paradoxe, il est déjà alléché par un tel potentiel. « Si mi la ré si », commence à faire chanter la belle et docile élève. La passion s’en mêlant, il se pourrait bien qu’ils aillent jusqu’à attraper un torticoli un samedi soir – si l’ auteur de ces lignes respecte scrupuleusement, c’est à dire fort peu scrupuleusement, la scabreuse unité de temps, de lieu et d’action si chère au drame bourgeois…


Il pensait lui avoir fait un enfant, mais c’est elle qui va le lui refiler, le bébé. Le bébé en question, c’est le complexe d’Œdipe : cet homme-là se voit un destin par femme – de préférence, jeune et joli, le destin, et il adore se risquer à la croisée des chemins. Justement là où il y a fort longtemps, jeune Œdipe tuait son père sans le savoir (l’état de légitime défense par excellence). Et il faudrait que ce carrefour où passent, se croisent et s’échangent (s’interchangent) de belles créatures, ce soit elle, Violaine, qui le porte à bout de bras ? Léger comme une partition, notre bonhomme. C’est pourtant à lui d’enseigner les portées. Bref, Violaine a découvert un bémol. Et la voilà qui décide de planter son bel amour dans le pot aux roses, histoire qu’il se pique un peu à ses propres épines.

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