Chapitre Six : Les séparées

“Je pose” : image ; “Je retiens” : chiffre. “Je pose” : chiffre ; “Je retiens” : image. Par amour, Cathy entendait une alliance avec les mots - elle écrivait que sa Narcissa ne voulait plus être la maîtresse des mots, mais leur épouse.

La Narcissa de Cathy avait écrit :

“Lallation : un enchantement éteint en son possible écrin vient se peindre. Désenchante ment : si tendre se tend l’attente d’un temps qui pressent un océan de sentiments où des en-chante-ments changent pour un temps les désenchantements. Dé-tension ? Détention ? Un certain regard recueille le silence de mots-pupilles auréolées… Le flot d’écho des mots si faux qui s’altéraient en d’autres egos se métamorphose, se pose, s’expose, se dose, se transpose”.

Cathy avait remis à Melle Lilie son travail de DEA mi-universitaire, mi-poétique - c’était là sa manière de suggérer à l’enseignante qu’elle se trouvait prise par les mots ou phrases qu’elle citait ou étudiait. Toutes deux étaient assises côte à côte dans le bureau de Melle Lilie, celle-ci lisant le plan de ce travail à haute voix. Au moment où elle lut une citation de Hölderlin, toutes deux se regardèrent. La citation disait : “Tu sembles me colorer un mot rouge” (“Du scheinst mir ein rothes Wort zu färben”). Cathy avait les joues en feu. Correspondances. Elle eut la sensation que Melle Lilie, pétrissant son travail de sa voix et de ses regards, semait à même son sang, à même le terreau des images de ce travail. Au majeur de la main droite, Melle Lilie portait une bague en or très fine, sur cet anneau luisait une petite goutte rouge sang.


Le temps court dans les noeuds du plancher en bois de la scène, passe les feux de la rampe comme une salamandre. Les planches sont-elles à des années-lumière des feux de la rampe ? Pétrifiées, pétrifiantes pour ceux qui y montent pour raconter ? Cathy Pas-done avait pris la scène pour une statue dont la pierre lui pesait de plus en plus tandis qu’elle s’épuisait, en couturière du vide, à travailler l’air.

Son amour pour Melle Lilie : “Je ne sais si je suis début ou fin”.

13 août 1997 : Cathy vient de rentrer d’Allemagne, de Regensbug (ville de la pluie, mot-à-mot), Ratisbonne en français, où elle a organisé et encadré un séjour linguistique pour une classe d’adolescents. Le téléphone sonne : un docteur d’Etat de l’université où enseignait Melle Lilie, que Cathy ne connaît absolument pas en dehors des cours, lui annonce le décès de Melle Lilie, enterrée à Orléans il y a quelques jours. Celle-ci s’était rendue chez le médecin pour une grippe qui ne passait pas ; le médecin l’avait fait hospitaliser d’urgence (pas même le droit de rentrer chez elle), opération pour un cancer du colon. Tout de suite, des métastases sont apparues dans la région du cerveau et le décès est survenu en quelques jours. La dernière fois que lui-même l’avait vue, Melle Lilie ne l’avait pas reconnu. L’avant-dernière fois, elle parlait de reprendre les cours.


Du temps et des lieux sont passés dans cette histoire, pour l’aérer- la rendre respirable ? Ici et maintenant, « enFIN», Cathy, délivrée des opérations de la conscience qui ne font pas un compte rond et qui la font tourner en rond dans son inconscient, retenant prisonniers d’une ronde infernale tous les temps et tous les lieux de la conscience.

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